Maison de Pierre Loti

Interview d’Elsa Ricaud, architecte du patrimoine chargée de la restauration du plafond de la mosquée

Date

Ce chantier soutenu par la Mission Bern, le Loto du Patrimoine, la Fondation du Patrimoine et l’Etat a débuté en février 2020. Il s’est poursuivi malgré le contexte sanitaire et parvient aujourd’hui à son terme.

Elsa Ricaud, architecte du patrimoine co-gérante de l’agence d’architecture SUNMETRON, évoque pour nous cette restauration hors-norme, dont elle porte la responsabilité.

Elsa, pouvez-vous nous rappeler les enjeux patrimoniaux de cette opération ?

Le plafond de la mosquée, qui date du XVIIIe siècle, était parvenu à un stade de dégradation très avancé : le bois était particulièrement pulvérulent, ayant perdu près de 30% de sa masse du fait d’infestations d’insectes. Il a par ailleurs subi les effets des mouvements structurels des murs de la maison et commençait à se décoller de la périphérie des murs. Des fissures de plus de 2 cm de large ont été constatées entre certaines pièces de bois, lorsque nous avons pu accéder pour la première fois au plafond en début de chantier, à partir des échafaudages.

L’objectif de cette consolidation d’urgence était d’une part de traiter les bois pour les protéger des insectes, puis de redonner de la masse au bois (en injectant de la matière dans chacun des trous d’envol laissés par les insectes) et d’autre part de réaliser une structure non visible, dans les combles, afin de soutenir le plafond pour les décennies à venir (sans pour autant exercer de traction forte). Ces travaux doivent aussi permettre d’accéder désormais au-dessus du plafond pour son futur entretien, et d’opérer une veille active quant aux attaques d’insectes. Afin d’assurer la pérennité des collections et des plafonds exceptionnels conservés dans la maison Pierre Loti, toutes les couvertures en tuile ont également été refaites à neuf, et les combles ont été isolés afin d’assurer une température et un niveau d’humidité optimaux.

Manques et désordres dans le plafond repérés en 2016

Le conservateur de la maison de Pierre Loti et vous avez mené des recherches sur ce rare plafond syrien. Qu’avez-vous découvert ?

Ce plafond a fait l’objet de plusieurs diagnostics depuis 2017, réalisés par une équipe pluridisciplinaire (architecte du patrimoine, ingénieur structure, restaurateurs spécialisés dans le domaine des décors en bois et des décors peints, historiens de l’art). Grâce à ces études, il est désormais unanimement admis que ce plafond n’est pas réalisé en cèdre du Liban et ne provient pas de la mosquée des Omeyyades de Damas, comme l’a sans doute laissé entendre Pierre Loti lui-même. Il s’agit d’un plafond en peuplier, qui proviendrait d’un palais syrien (peut-être effectivement damascène), du XVIIIe siècle. Le décor de ce plafond est de type « ajami », c’est à dire que le bois est orné de fins bas-reliefs en plâtre (« nabati ») qui sont ensuite peints (peinture à la colle de peau, pigments minéraux de type bleu de smalt, rouge vermillon de sulfure de mercure, …) et ponctuellement ornés de feuilles d’étain et de feuilles d’or.

Afin d’ajuster la taille de ce plafond syrien à la géométrie de sa maison rochefortaise, Loti lui a adjoint deux extensions latérales en bois résineux, parfaitement réalisées, en trompe-l’œil. Leur intégration visuelle révèle la finesse de l’écrivain du point de vue de l’alliance des couleurs et des patines (on doit a priori à Loti des patines à la peinture l’huile et à la bronzine sur la partie syrienne du plafond). Car même s’il a dû faire réaliser ces travaux par des gens de l’art, il a vraisemblablement été à l’initiative de l’esprit de cette restauration et en a orchestré la réalisation, comme en témoignent certains de ses écrits, et notamment ses relations épistolaires avec son secrétaire personnel.

Décor en plâtre peint et doré avant restauration

Quelle a été votre méthode pour analyser l’état du plafond et établir votre constat ?

Un premier état sanitaire a été réalisé sous le plafond, à partir d’un échafaudage roulant, et au-dessus du plafond, au harnais, après avoir découvert environ un quart de la couverture provisoire en métal qui protégeait la mosquée depuis 2016. La structure du plafond a ensuite été modélisée par l’ingénieure et une cartographie des pathologies des décors peints a été réalisée par deux restauratrices.

Des analyses réalisées en laboratoire nous ont ensuite permis de définir les essences de bois mises en œuvre et leur densité, la nature des colles et des pigments utilisés.

Une fois le chantier commencé et l’intégralité du plafond échafaudée, une plateforme de travail a été suspendue au-dessus du plafond. Nous avons ainsi pu compléter le constat des désordres et plusieurs faiblesses structurelles ont été identifiées à cette occasion. Nous avons donc adapté en conséquence le protocole de consolidation.

Échafaudage de la façade, rue Pierre Loti

Malgré le contexte sanitaire, les travaux ont pu se dérouler dans les délais prévus. Quel calendrier avez-vous suivi ?

Le chantier avait à peine commencé lorsque le premier confinement a été annoncé en mars 2020 et les chantiers ont tous dû être mis à l’arrêt, de manière obligatoire. Mais nous avons mis à profit ce temps pour adapter le protocole de restauration et approfondir la documentation. Une fois les échafaudages montés et le plafond de la mosquée protégé et stabilisé, nous avons testé sur une petite surface du plafond les produits curatifs qui avaient été testés en laboratoire en amont. Nous avons également vérifié la compatibilité des traitements entre eux (par exemple l’insecticide et le consolidant du bois). Les résultats ont été les mêmes que lors des essais.

La restauration a donc pu commencer : nous avons traité les bois contre les insectes et réalisé les injections pour redonner de la masse au plafond (pendant un mois) puis posé un textile de renfort au-dessus du plafond. La charpente neuve a ensuite été montée, d’abord sur le salon turc puis sur la mosquée, les passerelles métalliques pour l’entretien des combles ont été grutées et posées, et le minaret a été restauré et remonté, au mois de mars. Aujourd’hui, les équipes de couvreurs sont à l’œuvre pour isoler les combles et reposer les couvertures en tuile. Malgré les confinements et les normes sanitaires drastiques s’appliquant désormais aux chantiers, l’opération se terminera comme initialement prévu, grâce à la mobilisation de tous, au début du mois de mai 2021.

Injections dans le bois du plafond

Plusieurs entreprises ont travaillé sur cette opération. Quel a été le rôle de chacune ? Des entreprises locales ont-elles été sollicitées ?

Six entreprises se sont vues attribuer ces marchés, dont cinq locales :

– LV-Tech (Nantes) a eu en charge l’installation des échafaudages, du parapluie et des plateformes provisoires de chantier.

– Les Compagnons de Saint-Jacques (Périgny, 17) ont été responsables de la restauration des maçonneries et pierres de taille (corniches, enduits, minaret, …)

– Gautier (Aytré, 17) a été missionné pour les ouvrages de charpente et couverture,

– Métalneo (Rochefort, 17) a fourni et posé les plateformes métallique pour la future maintenance,

– Arcoa (Paris) a réalisé la consolidation du plafond de la mosquée (injections, pose du textile, consolidations d’urgence, atténuation de quelques lacunes en sous-face),

– Sapa (Saint-Georges-du-Bois, 17) a assuré la désinfestation des bois.

Enfin, nous avons confié une mission ponctuelle à Mme Marine Fargetton, restauratrice de céramiques, pour réaliser des fac-similés des céramiques perses qui ornaient le minaret. Les originaux, très altérés par les intempéries, pourront ainsi regagner les réserves, et les copies seront reposées sur le minaret, que le public aura plaisir à apercevoir par la fenêtre de la mosquée, tel que Loti l’avait conçu.

La restauration du plafond est quasiment accomplie. Allons-nous donc le retrouver dans toute sa splendeur dès cette année ?

A la fin de ce chantier, le plafond aura reçu la consolidation d’urgence nécessaire à sa sauvegarde : il a retrouvé sa densité propre, le trou béant a été comblé et les lacunes de peinture ont été « réintégrées » c’est à dire repeintes, les interfaces plafond / mur ont été consolidées et le plafond est maintenant prêt à vivre deux ans de chantier intense dans l’ensemble de la maison. Tout ce travail se devait d’être le plus discret possible, donc si le public ne le voit pas, nous considèrerons que ce chantier de consolidation est réussi !

Il faut maintenant, lors du chantier qui débutera en septembre 2021 et s’achèvera pour l’été 2023, restaurer ce plafond, nettoyer les décors peints et les dorures afin de lui redonner plus de luminosité tout en conservant ses qualités patinées par le temps. C’est donc véritablement en 2023 que le plafond retrouvera son éclat. Nous devrions plutôt dire : son état patiné, à la mort de Pierre Loti en 1923.

Pour finir, avez-vous une anecdote à nous faire partager sur ce chantier ?

Les restaurateurs de l’atelier Arcoa se sont abondamment approvisionnés en aiguilles et cathéters médicaux auprès des pharmaciens du quartier, afin de procéder aux consolidations du plafond. Autant vous dire qu’ils ont ressenti quelques gênes auprès de ces professionnels, après plusieurs jours d’usage intensif de ce matériel ! Mais les explications quant au déroulé du chantier ont permis de dissiper le malentendu.

Plusieurs découvertes ont été faites pendant ce chantier : dans le comble de la mosquée, un papier fragmentaire portant un dessin de personnage égyptien et  hiéroglyphes a été retrouvé lorsque nous avons enlevé les tuiles. Connaissant la passion de Loti pour la culture égyptienne, il y a peu de doute quant à l’authenticité de ce document, mais rien n’explique son emplacement dans les combles, et sa relativement bonne conservation, dans ce contexte hygrothermique médiocre.


Dans un espace perdu près de la mosquée, qui était également inaccessible jusqu’au moment de la dépose des tuiles, nous avons découvert un ensemble de moulages en plâtre réalisés sous la direction de Loti. Certains ont été identifiés comme faisant partie du salon turc et de son décor inspiré de l’Alhambra. D’autres demeurent plus énigmatiques.


Enfin, sur le décor peint du plafond de la mosquée lui-même, les restaurateurs ont mis en évidence de petits bateaux gravés, principalement sur les parties ajoutées par Loti. S’agit-il d’ex-votos ? Faut-il y voir la signature des artisans de Loti qui auraient posé ce plafond en 1895 ? Ou une marque de Loti lui-même (car nous avons par ailleurs trouvé des signes / signatures cousues a priori par l’écrivain au verso de certains textiles de la maison).


Ces découvertes laissent présager de nombreuses autres surprises jusqu’en 2023, au moment où de nombreux décors (lambris, plafonds, doublages…) seront déposés pour la première fois depuis leur réalisation au XIXe siècle. La découverte dont nous rêvons tous ? Un manuscrit ou un dessin de la main de Loti, sans doute…

Découverte des moulages en plâtre du plafond du salon turc

Cette opération de sauvegarde du plafond de la mosquée, dont le coût est de 568 589 € HT, est financée à hauteur de 390 000 € par la mission Bern et le Loto du Patrimoine, 32 000 € par l’Etat (DRAC Nouvelle-Aquitaine) et 146 589 € par la Ville de Rochefort. Cette part dévolue à la commune est compensée par les dons collectés via la Fondation du Patrimoine. La mobilisation de tous les acteurs financiers privés et publics autour de ce projet permet donc de restaurer une pièce patrimoniale d’exception et la Ville de Rochefort les remercie pour ce soutien essentiel.